Lettre à mon corps imparfait (et c’est parfait)

«Cher corps que je maltraite trop souvent, comment tu vas? Je te le demande pour vrai parce que je sais, souvent je ne prends pas le temps de t’écouter, je te bouscule je t’insulte et je t’injure. Je m’excuse pour ça, c’est vrai. »

Cher corps que je maltraite trop souvent,

Un doux bonjour, cette fois. Comment tu vas?

Je te le demande pour vrai parce que je sais, souvent je ne prends pas le temps de t’écouter, je te bouscule je t’insulte et je t’injure. Je m’excuse pour ça, c’est vrai.

Trop souvent j’évite le reflet du miroir pour rien, je ne veux pas voir les petits détails les petites niaiseries celles qui deviennent de grands complexes, les yeux bouffis, le bouton sur le front, les joues trop rondes, les épaules trop larges, la bouche trop petite, le cocktail d’imperfections (et pourtant j’aime les cocktails).

Aujourd’hui je veux te dire merci parce que. Tu es là, je suis là, grâce à toi j’existe je suis. Merci.

Merci à mes yeux parce que je découvre j’explore j’apprécie l’autour de moi, je suis curieuse des visages et de la nature et des couleurs. J’arrive à percevoir la petite lumière qui brille dans le noir, lire les mots les lettres et jouer avec, chercher l’art et la beauté même dans ce qui est caché.

Merci à mes mains parce qu’elles me permettent d’observer mais avec le bout de mes doigts, je les fais danser sur le velours, le pas-doux, je sens le chaud le froid, le gazon frais, la brise du vent et puis j’arrive à voir les textures même quand j’ai les yeux fermés. Le réconfort de mes draps le soir avant de m’endormir. La chaleur d’une autre main dans la mienne.

Merci à mon nez parce que je peux sentir le parfum de papa et celui des biscuits qui se font bronzer dans le four de la cuisine, la fraîcheur des vêtements propres, le sapin de Noël qui embaume la maison. L’odeur de la pluie et des chandelles qui brûlent et celle des fleurs dans mon jardin.

Merci à ma bouche parce que sans elle je ne connaitrais pas le goût du chocolat et let’s be honest à quoi ressemblerait une vie sans chocolat je ne veux pas savoir, je retrouve un peu de grand-maman dans ses pâtés et un peu de maman dans sa sauce à spag’ (la meilleure), je goûte l’automne dans chaque bouchée de croustade aux pommes et l’été dans mes cornets de crème glacée. Je m’exprime et je parle fort et je raconte et je chante même si parfois j’invente des notes d’une gamme qui n’existe pas.

Merci à mes pieds parce qu’ils me guident dans le partout, chez moi ou chez mon meilleur ami, à l’école ou dans un parc, dans la forêt ou à la montagne ou à la plage, parfois dans un nouveau pays. Je vais où je veux et je garde l’équilibre.

Merci à mes oreilles parce que j’arrive à tout entendre, mes chansons préférées et même celles que je déteste, je reconnais la voix des gens que j’aime, je souris quand j’entends le rire d’un bébé. Le bruit de mes pieds quand ils s’enfoncent dans la neige, le chant des oiseaux. C’est une chance même de connaître le silence.

Merci à mon ventre parce que j’ai déjà eu des papillons dans l’estomac et c’est le sentiment le plus doux dans tout l’univers.

Une vie de qualité ce n’est pas un chiffre sur une balance ou un visage symétrique ou un corps parfait (c’est quoi un corps parfait, ça n’existe pas).

C’est pas vrai, le corps parfait existe c’est le mien et c’est le tien et c’est le sien, c’est celui que j’avais hier et celui que j’aurai demain.

Merci.

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J’ai hâte que tout soit (pas) comme avant

« La vie de tout le monde est sens dessus dessous, complètement chamboulée, la planète nous a sacré une méchante volée on va se le dire. »

Je suis chanceuse je sais, je fais partie de ceux qui ont le privilège d’être à la maison, ceux qui ont l’opportunité d’aller moins vite de profiter des petits moments de chaleur en famille, je suis de ceux qui ont la chance de dire merci. Merci à tous les anges qui se lèvent le matin qui sortent à l’extérieur et qui veillent sur nous, sur notre santé sur nos enfants sur nos garde-mangers et même sur notre réserve de vino parce que monsieur Legault l’a dit qu’un p’tit verre de vin may help avec l’anxiété covidienne et c’est bien vrai (raisonnablement toujours c’est bien important).

On est entre bonnes mains et « merci » ça me semble trop petit comme mot pour exprimer la reconnaissance infinie, cinq lettres c’est pas assez.

Alors oui la chance je l’ai, je sais. Mais je vais pas vous mentir parfois je trouve ça difficile. La vie de tout le monde est sens dessus dessous, complètement chamboulée, la planète nous a sacré une méchante volée on va se le dire.

J’ai passé les derniers jours en pyjama de jour et pyjama de soir, le mou c’est confo pour le corps mais pour l’âme aussi, surtout. Je scroll sur les réseaux sociaux j’écoute Netflix et je pense à mon prochain snack parce que ça fait cinq minutes que j’ai pas mangé j’ai faim.

Pis sais-tu quoi? Toute ça, c’est correk. Je gère mes émotions comme je peux mon anxiété mon stress mon quessé-qui-va-s’passer-next. Je sais pas.

Mais j’aime savoir que je ne suis pas toute seule dans mon toute-seule.

Au début je me sentais mal de ne rien faire quelle perte de temps am I right? Mais j’ai décidé de penser à l’envers, au contraire la vie me donne du temps. Et j’ai pas besoin d’occuper chaque seconde de chaque journée de chaque semaine avec du super-full-extra-productif, à la place j’ai choisi de me reposer. C’est la fin du monde dehors je commencerai pas à m’en faire parce que je feel pour faire une sieste et manger des biscuits, wô menute hein.

J’ai décidé de fermer les yeux à vos régimes de quarantaine votre culpabilité de garde-manger vos grands projets de productivité votre ménage de printemps. Comprenez-moi je suis contente pour vous si vous accomplissez des belles choses à l’intérieur de vos quatre murs, vraiment contente c’est vrai, mais on fait tous notre possible pour que nos journées soient au moins un peu tolérables et parfois ça veut dire ne rien faire. Y’a des jours où j’ai assez d’énergie pour cuisiner du pain moi aussi, mais d’autres où je reste évachée sur mon sofa et je mange un peu plus de chocolat et c’est correk.

Quand il fait soleil je prends l’air comme je peux je pars à la chasse aux arcs-en-ciel dans ma grande bulle de deux mètres j’essaie de lancer des sourires je fais de mon mieux pour y croire, moi aussi, que ça va bien aller. Et oui j’y crois.

Don’t get me wrong j’ai hâte de faire des câlins voir mes amis ma famille faire l’épicerie sans que mes mains souffrent d’une overdose de Purell prendre un café pas-sur-FaceTime avec mes personnes préférées, mais j’ai hâte que tout redevienne pas comme avant. Oui, c’est ça, pas comme avant. J’espère qu’après le retour à la normale, la normale va changer.

J’espère que nos comportements seront différents. Nos valeurs. J’espère qu’on va ralentir. Qu’on va comprendre la vie d’une différente manière. Qu’on va aimer notre planète assez pour en prendre soin. Qu’on va s’aimer, chacun, assez pour prendre soin de nous aussi. Qu’on va être patient plusse-plusse envers les autres. Qu’on va manger du chocolat sans compter les calories qu’il y a dedans. Qu’on va laisser faire la performance le parfait l’excellence, trouver le beau dans les petites failles. Lentement. J’espère. 

Malgré tout je me sens mal d’écrire ces mots, assise sur mon privilège de fille en pyjama. Mais juré je pense à tous ceux pour qui c’est difficile, je tiens tout l’monde dans mon petit coeur je vous tiens fort. Je pense à ceux qui ont perdu un proche, ceux qui n’ont plus d’emploi, ceux qui ne savent pas s’ils pourront manger demain matin, ceux qui sont seuls, ceux qui vivent de la violence à la maison, ceux qui sont malades, ceux qui sont fragiles, ceux qui tiennent la société à bout de bras, ceux qui ont peur.

On va s’en sortir je sais. Et je vais dire comme tout le monde parce que je le crois c’est vrai, ça va bien aller.

Image de couverture : ©Amy Shamblen

Merci, 2019. Bring it on, 2020.

« Je voulais devenir enseignante ou photographe ou écrivaine ou journaliste je savais pas mais j’avais le temps. J’aime penser que la petite moi de 13 ans serait fière de me voir aujourd’hui. »

Une autre année, une autre page à tourner et cette fois-ci je dirais même un long chapitre parce que 2020 c’est aussi la fin d’une décennie, le point culminant de dix belles et moins belles histoires de 365 pages (on s’obstinera pas pour les années bissextiles merci).

C’est le 31 décembre et comme toujours je prends un moment pour penser à tous mes hiers et mes avant-hiers depuis janvier et je m’émerveille devant le temps qui passe, les minutes les secondes qui s’envolent comme des petits fragments de poussière. La magie du sablier, l’année s’est encore écoulée sans que je m’en rende compte, je suis la même qu’hier et pourtant je ne suis pas du tout celle que j’étais le 1er janvier 2019 tout a changé c’est vrai. Un jour à la fois on ne voit rien mais la vie bouge.

Le plus hallucinant c’est de regarder encore plus loin derrière, reculer la cassette, repasser à travers tous mes souvenirs des dix dernières années, il y en a beaucoup et c’est tant mieux ils m’ont façonnée construite détruite puis rebâtie. En 2010, j’avais 13 ans le coeur incompris d’une pré-adolescente j’écoutais Love the Way You Lie en boucle dans les écouteurs de mon iPod Touch en marchant pour l’école parce que mon p’tit crush m’avait fait d’la peine et Rihanna et Eminem me comprenaient tellement.

Je voulais devenir enseignante ou photographe ou écrivaine ou journaliste je savais pas mais j’avais le temps. Aujourd’hui je suis là où je veux être et c’est l’important.

En dix ans j’ai eu le coeur brisé mais j’ai aimé, j’ai souvent échoué mais j’ai réussi beaucoup aussi, j’ai vécu quelques petites crises existentielles (j’suis qui?), j’ai appris à aimer le café (trop), j’ai stressé en masse, j’ai pleuré en masse, mais surtout j’ai ri — oui, en masse, j’ai même quelques rides autour des yeux pour le prouver et je suis en paix avec les traces du temps et ses petites fripures (j’ai aussi inventé beaucoup de mots en dix ans).

J’ai voyagé, je me suis mise au défi, je me suis trompée, j’ai changé d’idée(s). J’ai quitté le nid familial (trop tôt dirait maman), j’ai choisi une carrière, je me suis trompée, j’ai changé d’idée(…s).

31 décembre 2019. Je suis bien. Reconnaissante. Chanceuse. Contente de ma personne, mon travail, mes amours, mes amitiés, mon appartement, ma vie, mon toute. Contente même des épreuves et des échecs parce que je suis encore là malgré tout alors pourquoi s’en faire c’est inévitable de toute façon. J’apprends encore à me connaître j’ai 23 ans et je suis loin même très loin d’avoir les réponses à tout (j’suis qui?) mais je suis entourée de gens merveilleux qui m’aident à avancer et à me comprendre et à trouver les morceaux manquants dans mes nombreux casse-têtes.

Je n’ai pas toujours été gentille avec moi-même dans les dernières années souvent trop exigeante mais en 2019 j’ai pris le temps de m’écouter et de me respecter et c’est ce que je veux apporter avec moi en 2020. Ça, et vivre sans tenir compte du regard des autres, c’est ma résolution c’est difficile mais j’y travaille et ça viendra (fingers crossed).

J’aime penser que la petite moi de 13 ans serait fière de me voir aujourd’hui. J’en aurais long à lui raconter, du beau et même du laid mais c’est tant mieux c’est l’important.

Et maintenant je suis curieuse de mes demains et mes après-demains ce qu’ils vont m’apporter. C’est excitant et rassurant de réaliser que les personnes les plus importantes de notre vie on ne les a pas encore toutes rencontrées, que la plus belle expérience de notre vie on ne l’a sûrement pas encore vécue, que notre endroit préféré sur la Terre on ne l’a peut-être pas encore vu, c’est beau l’incertitude.

On se donne rendez-vous dans dix ans ou en tout cas c’est ça qu’ils disent.

Bonne année grand nez.

Image de couverture:
©Dan Ezekiel (Unsplash)

Lettre à la jeune fille anxieuse que j’étais

« Je t’écris pour te rassurer. Parce que, so far, ça va pas mal bien. Madame l’Anxiété est encore là. Elle me raconte encore des histoires qui m’empêchent de dormir. Mais au lieu de crier, elle chuchote. Et parfois, j’oublie même qu’elle est là. »

Allô, toi. Marika.

Tu as 14 ans. Tu reviens de chez ton médecin pour la quatrième, cinquième (sixième?) fois cette année. C’est pas de ta faute, t’es obligée d’y retourner, t’as beau lui expliquer tes symptômes, on dirait qu’elle t’écoute pas. « Tous les corps réagissent au stress différemment. » C’est toujours le même discours.

Mais ça arrive de plus en plus souvent. Tu dois sortir de tes cours parce que tes bras engourdissent, ton coeur bat trop vite, tu as le vertige et tes poumons s’essoufflent. Tous les regards sont sur toi et tu étouffes. Mon conseil? Arrête de perdre ton temps dans la salle d’attente de la clinique. Tu vas passer les deux prochaines années de ta vie à faire des tests et des prises de sang (tu vas d’ailleurs découvrir que t’as peur des aiguilles).

Ta réponse, tu vas l’avoir à 16 ans. Mais laisse-moi te l’annoncer tout de suite.

Anxiété. Je sais que tu ne me crois pas, tes symptômes sont physiques, t’as mal dans ton corps pour vrai, t’as rien inventé tu ressens tout pour vrai. Mais au fond, tu le sais déjà — c’est ce que ton médecin dit toujours. Le stress. Ça part de la tête. C’est fort.

Tu ne guériras pas (je dis guérir, parce que c’est une vraie maladie). Mais tu vas apprendre à cohabiter avec elle. C’est un peu ce qu’elle est, une coloc. Madame l’Anxiété. Et tu n’es PAS la seule à devoir gérer cette invitée indésirable. Crois-moi. Tu n’es pas un extraterrestre. Le jour où tu vas oser en parler autour de toi, personne ne va te regarder de travers (au contraire).

Je t’écris pour te rassurer. Parce que, so far, ça va pas mal bien. Tu vas réaliser quelques-uns de tes rêves, trouver une carrière que tu aimes, tomber en amour. Tu vas voyager (toute seule, même). Tu vas faire tes valises (plus tôt que tu penses) pour étudier dans une autre province. Tu vas te bâtir un petit chez-toi à l’Île-du-Prince-Édouard (j’te jure, c’est cool hein?).

Mais je veux que tu fasses attention. À toi.

Impose tes limites. Arrête de toujours en faire trop pour plaire aux autres. T’es pas Wonder Woman. Plus tu leur en donnes, plus ils vont t’en demander. Les gens sont comme ça.

Donne-toi la permission de dire « fuck toute aujourd’hui je reste en pydj’ et je binge-watch des séries sur Netflix » — tu sais pas encore ce que ça veut dire mais tu vas voir, ça va révolutionner le monde. Pas mal plus que ton nouveau flip phone.

Le slow living va devenir une mode, mais pratique-le avant. Prends. Ton. Temps. La vie, c’est pas une course. Les aiguilles de l’horloge peuvent pas tourner plus vite. On vit tous à la même vitesse. Alors prends deux secondes pour respirer.

Je vais être honnête avec toi: j’ai de la difficulté à suivre mes propres conseils. J’ai 23 ans. Mais ça viendra. Un jour à la fois.

Madame l’Anxiété est encore là. Elle me raconte encore des histoires qui m’empêchent de dormir. Mais au lieu de crier, elle chuchote. Et parfois, j’oublie même qu’elle est là.

Ça va bien aller. Prends soin de toi, c’est la clé.

(Et fais tes devoirs d’histoire parce que tu vas couler deux examens cette année, j’dis ça j’dis rien.)

À bientôt,

Marika